Jérôme et Thomas Forget

Jérôme Forget:


Le jour où mon grand-père était amoureux

Ils s’étaient sauvés. Ils avait quitté Notre-Dame-des-Prairies, presqu’en secret, pour fuir un anniversaire de mariage qu’ils voulaient plus simple, plus intime. Ils avaient trouvé refuge dans un hôtel de Matane, le Belle-Plage, en une période de l’année où le vent, la brume, le froid et la pluie sévissent encore. Ils espéraient ainsi célébrer tranquillement des dizaines d’années de vie commune, de tendresse et de partage.

L’hôtel Belle-Plage est à l’image de Jean et Andrée. Familial, fier de ses traditions, distingué sans jamais être prétentieux. On y trouve depuis des décennies le même arbre à suçons, la même bonne vielle soupe à pois.


À 600 km de Joliette, on peut s’y réfugier à l’abri de ses enfants, mais pas de ses petits-enfants. Comme j’y demeure depuis 2003, je ne pouvais laisser passer inaperçu cette visite surprise de mes grands-parents dans la ville de la crevette.

Un soir, nous sommes allés souper, Karine et moi, à cet hôtel Belle-Plage qui abritait depuis quelques jours mes grands-parents en lune de miel. Nous avons été impressionné par le personnel de l’hôtel qui ne devait bien avoir que ces deux seuls clients en cette période de l’année et qui était tout attentionné envers ces deux jeunes amoureux. Moi aussi. J’ai été étonné par leurs yeux pétillants, leurs regards complices, leurs sourires amoureux. Pour le jeune couple que nous étions, cet amour tangible, sincère et sans cesse renouvelé entre deux « petits vieux » (comme ils le disaient parfois) a laissé une marque indélébile sur mon cœur comme sur celui de ma conjointe. 

Le jour où mon grand-père est devenu un saint

J’étais jeune adolescent je crois, en vacances quelques jours à Notre-Dame-des-Praires. Je devais, il me semble, me rendre à une rencontre du Club Richelieu de Joliette pour lequel je travaillais alors un site Web. Dans la voiture, mon grand-père écoutait une étrange musique, une étrange ligne ouverte radiophonique. C’était une cassette de l’abbé Pierre, une conférence qu’il devait avoir donné à quelque part dans le monde. Quelle drôle d’idée, m’étais-je dit, d’écouter en voiture de tels discours.

Je découvrais alors à peine l’étendue des actions de mon grand-père dans l’aide aux défavorisés. Après avoir admiré ses exploits sportifs, je découvrais alors en lui le sens du don de soi, de l’action citoyenne, de la charité chrétienne. L’abbé Pierre disait : « Viens m’aider à aider », et ce message mon grand-père l’a saisi comme un appel, comme un ordre. Pendant des années, et encore aujourd’hui, il s’est dévoué silencieusement à aider son prochain et à améliorer la vie des gens de sa communauté. L’amour, la paix, l’entraide et le partage sont des valeurs qui l’ont toujours habités, qui l’ont aidé à forger l’identité qu’il possède maintenant et qu’il lègue de façon si discrète à ses proches. 

Le jour où mon grand-père était bûcheron

On me dira que ce souvenir n’est pas très ancien. Que voulez-vous, ce souvenir me fait sourire à chaque fois que j’y pense.

On savait qu’il avait pris sa retraite pour faire un retour à la terre, ou plutôt à la forêt. Défricher, couper, ébrancher, corder, conduire son tracteur... C’était son nouvel emploi comme courtier en valeurs forestières. Il avait fait du boisé tordu et épais de ma tante une forêt aménagée telle un parc national (je sais, il n’a pas fait ça tout seul, mais j’idéalise un peu mes souvenirs).

Un jour qu’il était à Matane, mon voisin m’a offert de me prêter sa fendeuse pour fendre les dizaines de cordes de bois que j’avais moi-même coupé (j’idéalise encore) depuis deux ans. C’est le sourire fendu jusqu’aux oreilles que mon grand-père a offert de m’aider. Durant près de six heures, assis sur la fendeuse, il a actionné le levier et la lame alors que Karine et moi nous époumonions à transporter les lourds billots entassés ça et là sur le terrain. En échange, il a hérité de quelques taches d’huile sur ses beaux souliers blancs.

Un vrai bûcheron que ce grand-père, un colosse comme on n’en fait plus, un habitant avec une grande hache ! On se demande encore pourquoi il a passé tant d’années dans un bureau à gérer des portefeuilles. 

Dans un prochain épisode :

Le jour où mon grand-père était un pêcheur
Le jour où mon grand-père faisait cuire des saucisses hot-dogs sur le barbecue (et des merguez parce que je n’aime pas les saucisses hot-dogs)
Le soir où mon grand-père a fait pleurer toute la famille autour de la table la veille de Noël 

Jérôme Forget

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Thomas Forget:


J'ai 30 ans et je dois aujourd'hui admettre que je n'ai jamais parcouru un marathon. Pourtant, aux yeux de mes camarades de classe, j'étais sans aucun doute un athlète phénoménal qui avait complété de nombreux marathons à travers le monde. Tout un exploit pour un jeune d'une dizaine années.
Boston, Shanghai, Melbourne et Honolulu ne sont que quelques-unes des villes que je devais avoir visité puisque j'arborais régulièrement des t-shirts à l'effigie de leur marathon respectif. Au delà de la médaille, tous le monde est d'avis que c'est le t-shirt qui est le vrai symbole de la réussite.
C'est t-shirts, c'est Jean qui me les offrait généreusement. Avant de quitter Notre-Dame-des-Prairies pour retourner à Trois-Rivières, il m'amenait dans sa chambre (pendant qu'Alexandre et Xavier jouaient au Nintendo avec Jérôme et les cousins Malo qui regardaient) pour sortir une pile de t-shirts de ses tiroirs. Tous aussi différents les uns que les autres.
Plus qu'un simple morceau de tissu, ces t-shirts représentaient pour moi la fierté d'avoir un grand-père, non seulement capable de jouer à la lutte avec ces sept petits-enfants, mais avant tout capable de faire un exploit sportif hors du commun.
Ces vêtements, je les ai tous portés des dizaines et des dizaines de fois, tous ont été usés au point que je n'en possède plus aucun aujourd'hui. Si c'était le cas, je les porterais encore, toujours avec la même fierté.
Bonne fête Jean!
Thomas